La vie d’Henri Brulard

Mon enthousiasme pour les mathématiques avait peut-être eu pour base principale mon horreur pour l’hypocrisie.

Suivant moi l’hypocrisie était impossible en mathématiques et, dans ma simplicité juvénile, je pensais qu’il en était ainsi dans toutes les sciences où j’avais ouï qu’elles s’appliquaient. Que devins-je quand je m’aperçus que personne ne pouvait m’expliquer comment il se faisait que moins par moins donne plus ( – × – = + ) ? (C’est une des bases fondamentales de la science qu’on appelle algèbre).

On faisait bien pis que de ne pas m’expliquer cette difficulté (qui sans doute est explicable car elle conduit à la vérité), on me l’expliquait par des raisons évidemment peu claires pour ceux qui me les présentaient.

Monsieur Chabert pressé par moi s’embarrassait, répétait sa leçon, celle précisément contre laquelle je faisais des objections, et finissait par avoir l’air de me dire :

« Mais c’est l’usage, tout le monde admet cette explication. Euler et Lagrange, qui apparemment valaient autant que vous, l’ont bien admise. Nous savons que vous avez rempoté un premier prix de belles-lettres. »

Je fus longtemps à me convaincre que mon objection sur – × – = + ne pouvait absolument pas entrer dans la tête de M. Chabert, que M. Dupuy n’y répondrait jamais que par un sourire de hauteur, et que les forts auxquels je faisais des questions se moqueraient toujours de moi.

J’en fus réduit à ce que je me dis encore aujourd’hui : il faut bien que – par – donne + soit vrai, puisque évidemment, en employant à chaque instant cette règle dans le calcul, on arrive à des résultats vrais et indubitables.

Mon grand malheur était cette figure :

Henri Brulard

Supposons que RP soit la ligne qui sépare le positif du négatif, tout ce qui est au-dessus est positif, comme négatif tout ce qui est dessous ; comment en prenant le carré B autant de fois qu’il y a d’unités dans le carré A, puis-je parvenir à faire changer de côté au carré C ?

Et, en suivant une comparaison gauche que l’accent souverainement trainard et grenoblois de M. Chabert rendait encore plus gauche, supposons que les quantités négatives sont les dettes d’un homme, comment en multipliant 10.000 francs de dette par 500 francs, cet homme aura-t-il ou parviendra-t-il à avoir une fortune de 5.000.000, cinq millions ?

× – = + m’avait donné beaucoup de chagrin.

Commentaire :

Pour que celui-ci surmonte son chagrin, qu’est ce que son professeur de mathématiques aurait du dire à Henri ?

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